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Ils l’ont prise des dizaines de fois, cette route qui relie Berkane à Saïdia, dans le nord-est marocain. Toujours, ce paysage pelé, piqué d’eucalyptus et, sur le bas-côté, des adolescents assis sur des bidons en plastique. « C’est de l’essence de contrebande. La frontière algérienne est juste là », indique Mohamed Benata, ingénieur agronome à la retraite. Avec Najib Bachiri, enseignant en anglais et président de l’association Homme et Environnement, les voilà repartis en 4L sur les lieux de ce qu’ils qualifient de « crime écologique ». Une fois la Méditerranée sur leur gauche, une déviation marque l’entrée d’une immense cité aux airs de parc Lego, où les bulldozers sillonnent entre des trous d’eau.
- Complexe balnéaire à Casablanca - Imke Lass / Redux-Rea
Bienvenue à Mediterrania-Saïdia. Décroché en 2003 par l’espagnol Fadesa, c’est le projet pilote du plan Azur (lire ci-contre). Davantage qu’un complexe balnéaire, Mediterrania-Saïdia est une ville nouvelle cumulant les superlatifs : 715 hectares, 30 000 lits, 9 hôtels quatre et cinq étoiles, 3 golfs, 17 beach clubs, un centre commercial de 40 000 m², une marina, un million de visiteurs attendus par an, 1,7 milliard d’euros d’investissement, 8 000 emplois directs et 40 000 indirects créés. « Deux fois Deauville », vante-t-on à la direction, annonçant une ouverture pour 2009. Pour les autorités marocaines, Mediterrania-Saïdia constitue le moteur attendu pour doper l’économie d’une région restée longtemps paralysée.
Mais cette construction s’effectue au prix d’un « scandale environnemental », s’alarme l’Ecolo-Plateforme du Maroc du Nord, un collectif d’associations écologistes. Le bilan de l’implantation du complexe est lourd : 400 hectares de la forêt de Tazegraret ainsi qu’une forêt de genévriers rouges et de pistachiers de l’Atlas vont disparaître. Même issue pour le cordon dunaire et son couvert végétal qui les rejoindront au rayon des souvenirs.
Enfin, Mediterrania-Saïdia est installé au bord de l’embouchure du fleuve Moulouya, classé site d’intérêt biologique et écologique (Sibe). L’écosystème y est fragile et plus de 600 espèces animales comme la sarcelle marbrée (canard), le goéland d’Audouin ou la tortue grecque y sont recensées. Or nombre d’entre elles sont « menacées à l’échelle mondiale », explique Najib Bachiri, montrant au loin l’envol d’un faucon de type « lion blanc ». « En privatisant de fait 7 km d’une plage populaire, Mediterrania-Saïdia va accroître la pression de l’homme sur la Moulouya, déplore Mohamed Benata. Le prélèvement de l’eau en amont va affecter le débit de l’oued, donc l’humidité et la salinité naturelles de l’embouchure. En aval, les eaux usées ne peuvent que polluer le site. Et que dire de ces golfs dans une région déjà assoiffée ? »
200 km de côte vierge
Autoroute, rocade, ligne ferroviaire… Tawfiq Boudchiche, de l’Agence de l’Oriental, l’une des trois structures marocaines chargées du développement régional, salue pour sa part le « retour de l’investissement public ». « Auparavant, cette zone était un marécage qui ne produisait pas un dirham, insiste Mohamed Ibrahimi, le gouverneur d’Oujda. Ce projet représente aujourd’hui un potentiel de recettes de 540 000 euros par an. Il y a des arbitrages à faire. Et entre l’écologie et des emplois, mon choix est fait. Il s’agit de 200 km de côte vierge et quatre autres stations vont bientôt voir le jour. » Pascal Bosson, directeur commercial de Mediterrania-Saïdia, assure que la station sera « en harmonie avec la nature » : un taux de construction de 15 %, des bâtiments de deux étages maximum, de la verdure, une marina certifiée ISO 14 001. « Comparez-nous à un complexe des Caraïbes, pas à la Costa del Sol », plaide-t-il, assurant que « toutes les études d’impact environnemental ont été menées ».
« Mensonge ou incompétence », rétorque Najib Bachiri, rappelant que le Maroc ne possède pas de loi Littoral. Mohamed Benata pointe, désabusé, le va-et-vient des tractopelles. L’homme dénonce le « pillage du sable de la plage par des promoteurs pour assécher le sol où ils ont bâti leurs résidences ». L’abrasement du cordon dunaire aggrave l’érosion côtière et l’ensablement des constructions dont de nombreuses affichent de larges fissures. Et le risque d’élévation du niveau de la mer, étudié par Maria Snoussi, professeur à l’université Mohammed-V de Rabat – le site pourrait être immergé d’ici à 2050 – ne semble pas avoir été pris en compte.
Main-d’œuvre européenne ?
« Aucun parti politique ne s’est inquiété. Mediter- rania-Saïdia est considéré comme le projet du roi », constate Mohamed Benata. Les habitants du coin se sentent à peine concernés. Abdellah Mkadmi, 25 ans, intérimaire assurant la sécurité du site, hausse les épaules : « C’est un endroit fermé pour les riches. Nous, les habitants, n’y gagnerons pas grand- chose. » « Nous n’avons plus accès au port, la marina est déjà trop chère », lance Mohamed, pêcheur de 35 ans, qui trimballe le moteur de sa barque le long de la corniche.
Nombreux sont ceux qui doutent également de l’impact socio-économique favorable de cette ville parallèle. « Les touristes auront leur médina, leurs restaurants. Même les Marocains de l’étranger risquent de déserter la vieille Saïdia pour profiter de ces infrastructures, prévient Mohamed Benata. Les gouvernants clament que le projet constituera un produit d’appel pour le tourisme rural, mais les villages du coin resteront toujours aussi enclavés et démunis. »
Autre problème : le manque de main-d’œuvre. La majorité des ouvriers du bâtiment employés vient de Casablanca ou du sud du pays. Et les métiers du tourisme et de l’hôtellerie ont du mal à recruter car les quelques formations régionales sont insuffisantes. « S’il faut importer des ressources de Roumanie, de Pologne ou même de Chine, on le fera », a assuré le gouverneur d’Oujda dans les pages de L’Economiste, premier quotidien économique du pays. —
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